Transports amoureux

Publié le par Mamzelle C

"Samedi 14 février, 18 h 20, métro Plaisance, toi brune, cheveux longs, moi écharpe rouge... Comment te revoir ?". Ce genre de petites annonces (qu'on trouve notamment dans Libération, dans la rubrique poétiquement intitulée Transports amoureux) m'a toujours fait sourire, voire rire, quand je suis dans un jour à faire du mauvais esprit. Selon moi, c'était l'expression d'un romantisme incurable et un peu gnangnan, que mon esprit cynique aimait à considérer comme un peu suranné. Surtout, je me suis toujours demandé si véritablement, ces annonces étaient lues et recevaient une réponse, si réellement des couples se faisaient et se défaisaient au détour des rames de métro, dans les trains et dans les gares (pour les gares, je sais que les couples s'y défont, en tout cas d'après mon expérience, et depuis, je n'aime plus du tout le stand de cannelés Baillardran de la gare Montparnasse, je le confesse).

Bref, je me suis toujours dit que les fantasmes de brèves rencontres dans les couloirs de la ligne une étaient réservés aux adolescentes en mal de frissons amoureux (celles qui lisent Twilight, et qui ont réussi à porter aux nues ce chef d'oeuvre de mièvrerie et de niaiserie, et qui, pour mon plus grand malheur, ont fait émerger un acteur totalement inexpressif, j'ai nomme l'infâme Robert Pattinson). En tout cas, c'était jusqu'à ce que je surprenne une conversation au bureau. Je re-situe, je travaille dans une banque d'investissement, les gens y sont à peu près aussi fantaisistes que des artisans de marbrerie funéraire, alors entendre un jeune analyste financier confesser son coup de foudre pour une jeune fille croisée dans le train, voila qui m'a fait tomber des nues. La conversation n'a pas manqué d'entraîner son lot de questions, de taquineries, de conseils (tous plus foireux les uns que les autres) et de confessions. Parce qu'il semble que tout le monde autour de moi a déjà eu un semblable coup au coeur (temporaire ou prolongé) pour un ou une passagère. Le mythe de la passante (ou du passant) avec qui l'on échange un sourire et des regards en coin est donc bien vivace. En bonne aventurière des temps modernes, toujours à l'affut de l'information la plus cruciale, je me suis empressée de mener l'enquête (bon j'ai sondé deux ou trois personnes, pas plus, je l'avoue), qui me l'ont toutes confirmé. Les transports en commun sont donc un lieu où le moindre regard, le moindre mot échangé sont propices à l'emballement de l'imagination. L'enveloppe lisse et impénétrable des voyageurs, les infimes petits détails qui trahissent à l'observateur quelques uns de nos traits de caractères suffisent à nourrir les fantasmes de voyageurs en manque de sensations fortes. Parce qu'il est si facile de s'imaginer vivre une passion amoureuse avec un parfait inconnu entre deux stations de métro, ou de penser que son charmant voisin de siège dans le TGV, qui a souri en observant notre choix de playlist sur notre ipod serait un compagnon idéal, qui saurait reconnaître notre excellentissisme choix en matière de musique (mais aussi notre iconoclaste sens de l'humour qui fait se cotoyer "Circle of life", bo du Roi Lion, avec "La Javanaise" et le dernier Wolfmother sur notre balladeur). Et quand les grèves ou la neige s'en mêlent, notre cerveau vagabond s'en donne à coeur joie, et déroule les Hauts de Hurlevent Porte de Clignancourt, comme si ce garçon qui a échangé avec nous quelques considérations météorologiques et urbanistiques pouvait être un Heathcliff convaincant. 

Pour ma part, non, je n'ai jamais lâché à ce point la bride à mon cerveau (qui a besoin d'être tenu en laisse, croyez moi, sinon il écrirait tous les jours un discours de remerciements pour le Prix Pulitzer, voire les Oscars ou pire, les Palmes académiques). Mais j'adore tenter de deviner ce qui se peut se cacher derrière la mine chiffonnée et bougonne de mes voisins de rame, dans le métro, au petit matin. Comme ce garçon qui prend, fidèlement, quotidiennement, le métro à la même station que moi, pour en descendre précisément au même endroit que moi. Il est roux, grand et tout empêtré avec ce grand corps, et il a l'air timide. Il a des faux airs de Damian Lewis (le capitaine Winters pour les fans de Band of Brothers), ce qui le rend attendrissant, et son costume lui va mal, comme s'il n'était pas vraiment fait pour le travail pour lequel il prend le métro tous les matins. Je me demande ce qu'il écoute comme musique, en regardant un peu comme ça dans le vague. Tiens, je devrais lui demander un de ces jours. Oh et puis non, je ne lui demanderai jamais, je ne suis pas assez culottée comme ça, c'est pas mon genre (en tout cas pas à 8h du matin...). Mais tiens, le cynisme froid et le détachement de l'enquêtrice ne viennent-ils pas de céder la place à une imagination débridée ? Me reste plus qu'à publier ma petite annonce... 


En attendant de reprendre le métro demain matin, et de croiser le Capitaine Winters (à qui je n'irais demander ni sa playlist, ni son numéro de téléphone, mon zèle d'enquêtrice ne va pas jusque là), une petite chanson qui va bien.

 

Publié dans Janvier 2010

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M
<br /> J'aime beaucoup ton style d'écriture, propre à toi.<br /> Bonne continuation<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci ! <br /> <br /> <br />